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Budapest
DIS-MOI QUEL SERA LE SORT...
Dis-moi quel sera le sort de celui
Qui n'a pas même un manche de pioche?
Sur son chemin le souci le poursuit,
Jamais sur sa langue un brin de brioche.
Il voudrait planter des pommes de terre
Mais de terrain libre il n'est plus un pouce.
Ses cheveux s'en vont par mèches entières,
Lui ne voit rien du destin qui le pousse.
Dis-moi quel sera le sort de celui
Qui n'a que cinq arpents pour ses emblaves?
Son coq décharné racle des débris
Et seuls les soucis nichent dans sa cave.
Son joug se tait, on n'entend point ses bœufs,
Comme il n'en a point, plus de meuglement,
Seul le fond du plat fume encore un peu
Lorsqu'il fait manger son petit enfant.
Dis-moi quel sera le sort de celui
Gagnant pour lui seul sa vie de maudit?
Point de fumet dans la soupe qui cuit,
Et l'épicier ne fait plus de crédit.
Pour se chauffer il n'a que son vieux siège.
Un chat s'étend sur son poêle ébréché.
Avec sa clef il invente un solfège,
L'œil amer et seul il va se coucher.
Dis-moi quel sera le sort de celui
Qui pour nourrir les siens toujours travaille?
Seule l'ainée file au ciné la nuit.
Pour un trognon, chez lui l'on se chamaille.
A laver sans fin, la femme s'éreinte,
Un relent de choux demeure en sa bouche;
Le silence écoute et les ombre bougent.
Dis-moi quel sera le sort de celui
Qui tout autour de la fabrique traîne?
Là, des enfants posent leur front pâli,
Une femme a pris sa place à la chaîne,
Par la palissade à quoi bon s'il guette,
Il a beau porter cabas ou panier,
S'il dort on le bat pour le réveiller
Et s'il maraude aussitôt on l'arrête.
Dis-moi quel sera le sort de celui
Qui pèse tout dans un mauvais papier?
Tout à crédit : le pain, le sel, les fruits.
La balance, à quoi bon la nettoyer?
Dans la lumière avare, il se lamente :
Trop de loyer à payer et d'impôts,
Il ne gagne rien quand bien même il tente
De majorer le pétrole un peu trop.
Et dis quel sera le sort de celui
Qui est poète et qui chante inquiet?
Il court après les travaux de copie,
Sa femme lave à grande eau les parquets,
Son nom ce n'est qu'un sceau sans importance
Tels ceux qu'on voit aux produits d'entretien.
Mais s'il vit un jour une autre existence,
Elle appartient aux temps prolétariens.
József Attila