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Budapest
Devant le Parlement, sur le quai du Danube côté Pest, sont rangées des dizaines de paires de chaussures en bronze. Peu de gens se doutent de la gravité de l’endroit : c’est un mémorial aux dizaines de milliers de juifs qui furent tués et jetés dans le Danube en 1945. En six mois, 400 000 juifs hongrois furent déportés alors que l’Allemagne avait déjà perdu.
Un extrait du très beau film hongrois, Sorstalanság, tiré d'un roman en partie autobiographique de Imre Kertész du même nom (Être sans destin, 1997). L'histoire d'un enfant juif pendant la 2ème guerre mondiale, perdu dans un monde qu'il ne comprend pas. Un superbe musique de Ennio Morricone.
Comme certains m'ont reproché d'avoir fait une "belle photo" dans un tel lieu, je vous propose un extrait du roman si vous avez le temps.
ETRE SANS DESTIN : Extraits du livre
« Je ne l'aurais jamais cru, mais le fait est là : à l'évidence, un mode de vie ordonné,une certaine exemplarité, je dirais même une certaine vertu, ne sont nulle part aussi importants qu'en détention, justement. Il suffit de jeter un coup d'œil dans les environsdu Block I, là où habitent les vieux détenus. Le triangle jaune sur leur poitrine dit l'essentiel à leur sujet, et la lettre L qui y est inscrite indique incidemment qu'ils viennent de la lointaine Lettonie, précisément de la ville de Riga - ai-je appris. On peut voir parmi eux ces êtres bizarres qui m'avaient un peu étonné au début. Vus d'une certaine distance, c'étaient des vieillards extrêmement âgés, la tête enfoncée dans les épaules, le nez saillant, leurs loques crasseuses pendant sur leurs épaules relevées, et même durant les jours d'été les plus chauds, ils faisaient penser à des corbeaux transis de froid en hiver. Par chacun de leurs pas raides et trébuchants, ils semblaient demander : finalement, un tel effort en vaut-il la peine ? Ces points d'interrogation ambulants - car tant par leur aspect extérieur que par leur taille, je ne saurais les caractériser autrement - sont connus au camp de concentration sous le nom de "musulmans", comme je l'ai appris. Bandi Citrom m'a mis tout de suite en garde contre eux : "Il suffit de les regarder pour perdre l'envie de vivre", considérait-il, et il y avait du vrai dans ce qu'il disait, comme je m'en suis rendu compte avec le temps, même s'il fallait pour cela encore beaucoup d'autres choses. »
« Et malgré la réflexion, la raison, le discernement, le bon sens, je ne pouvais pas méconnaître la voix d’une espèce de désir sourd, qui s’était faufilée en moi, comme honteuse d’être si insensée, et pourtant de plus en plus obstinée : je voudrais vivre encore un peu dans ce beau camp de concentration. »